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La question est réductrice évidemment mais comment faire autrement quand, sur ce réseau, la vie doit se résumer en 140 caractères ? Tirer la substantifique moelle de sa pensée pour n’en retirer que la flamboyante ossature conduit fatalement à quelques raccourcis plus ou moins bien sentis. Nul queutard avide de sexe derrière cette simple question. Nul adolescent post-pubère en quête du grand frisson. Nul homme marié délaissé à la recherche d’un peu de tendresse. Juste un raccourci, une question essentielle, que 140 caractères conduisent à résumer en une question qui de prime abord pourrait apparaître vulgaire. Un raccourci à une question ô combien plus noble et plus riche :

« Comment faire de ce formidable lieu de bouillonnement intellectuel, de ce fantastique lieu de rencontre humaine et professionnelle, ce grand espace de liberté et d’échanges, un lieu où le champ des possible n’exclut pas la quintessence du partage chez l’être humain : les ébats de deux corps luisants de la sueur des ébats de la nuit passée ».

Je ne sais pas comment faire, je sais plutôt comment ne pas faire, ou plutôt comment faire pour ne pas pécho. Je vous livre ici cette non expérience, en espérant qu’elle vous soit profitable

Certes, je fus attiré à mes débuts par cette idée de séduire sans être obligé de me laver, de me raser ou même de m’habiller. Sans être soumis à cette pression constante de l’explicitation de mes sentiments par des phrases longues et construites. Sans avoir forcément besoin d’écouter de longs monologues dans des restaurants hors de prix. Juste lire quelques messages laconiques, sans passer par de longues heures de discussions stériles dans une rue au pied d’un immeuble dans l’hypothétique attente de monter boire un dernier verre. Et surtout sans chercher des excuses abracadabrantesques à donner à ma femme pour trouver un peu de temps pour faire la cour à une prétendante. Bref, en slip kangourou sur mon canapé, une main sur la bière, une main sur le smatphone, j’avais le monde féminin à mes pieds : Twitter était fait pour moi.

J’ai mis une photo de profil un peu énigmatique, une bannière représentant un paysage bucolique et une présentation accrocheuse en 160 caractères, voilà posées les bases indispensables à mettre en œuvre pour parvenir à mes fins.

Ma bouche… pas assez beau pour le gros plan, pas assez musclé pour le plan américain torse nu dans une position défiant parfois les élémentaires lois de la physique, pas assez anonyme pour dévoiler l’intégralité de mes qualités, il ne me restait que le gros plan énigmatique appelant au voyage. Une moue boudeuse, lèvres sensuelles et charnelles appelant aux doux baisers : mon choix était fait.

Un lac de montagne, un ciel bleu, quelques nuages moutonnants, une invitation au voyage. En fond se dresse turgescent le pic du midi : le message est clair, la bannière est arrêtée.

La présentation : le gros morceau. Twitter pardonne peu une présentation approximative. Tenté un instant par quelques hashtags,comme #teamgrosdard ou #rencontrediscrète, ne laissant pas de doute sur mes intentions, je me ravisais. J’avais choisi la suggestion, de trop gros sabots auraient sans doute perturbé mes messages images. J’évinçais également l’idée de la citation poétique un peu puérile : je voulais « pécho » et non m’engluer dans des discussions sans fins sur les passions épistolaires non consumées des écrivains à travers l’histoire de la littérature. « La quarantaine approchante, mes démons ne sont encore que nature, sport et convivialité. Prof de son état. Aime parler de tout et de rien. Papa comblé. » On ne peut pas faire plus clair. J’ai envie de pécho mais j’arrive encore à me retenir, je suis en couple avec des gosses, je m’entretiens physiquement, je ne suis pas un sociopathe asocial qui traine sur les réseaux sociaux par désoeuvrement et j’ai une âme de poète écologiste. Un homme moderne, dans sa force et sa fragilité ; dans ses certitudes et ses contradictions.

Une fois un petit réseau d’abonnées intriguées en place, il faut ferrer le poisson (pour reprendre une image piscicole peu flatteuse pour la gente féminine). D’abord quelques Fav, puis quelques RT… Puis attendre que l’ingénue se présente en DM. Il ne reste plus qu’à ferrer le poisson… On échange un peu, on discute, on s’apprivoise (toujours avec l’avantage de le faire en regardant la finale du top 14 mais en expliquant qu’on est en train de relire « Les Fleurs du mal », évidemment)

En 140 caractères, pas de possibilité pour les longues diatribes : on est dans dans l’essentiel, il faut conclure. Au moment où l’on sent que le poisson frétille au bout de la ligne, qu’il va suffire de remonter la canne pour enfin sortir cette truite tant convoitée, il ne faut pas hésiter, il faut y aller franchement. 140 caratères, pas un de plus pour faire passer le message. 140 caractères pour savoir si les 500 kilomètres qu’on s’apprête à faire pour une rencontre ne seront pas vains. 140 caractères pour des certitudes. « Dis, je me disais, si je monte à Lille te payer un café, tu me feras une pipe quand même ? » et rajouter les smileys et mentions appropriées au cas où « lol, xptdr, mdr, :D, 😀 ».

140 caractères, pour un malentendu. Sait-on jamais ?

PS : Billet réalisé pour le twittMOOC. Twitter a les avantages ou les inconvénients de la virtualité, c’est un formidable outil de rencontre de l’autre. Dans ces rencontres, il doit forcément y avoir des rencontres plus intimes et troublantes que d’autres, comme dans la vie. Soyez vous même et, qui sait ?

@sacrecharlemagn

Pour creuser le question vous avez 2 autres billets sur ce même sujet :
– un collectif ici
– un écrit par une twitteuse

Categories: Questions

3 Responses so far.

  1. Olivier dit :

    Déçu par la chute, si l’on peut dire qu’il y en ait une. C’est plutôt de l’inachevé…

  2. Canopé - Beauvais dit :

    140 caractères, pour une histoire inachevée ou un malentendu. Sait-on jamais ?

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