LA CLASSE OÙ JE ME SUIS ENNUYÉE…

Il y a quelques semaines, je suis allée passer deux jours dans une classe coopérative multi-âges dans les Corbières. Aller dans les classes j’en ai l’habitude, je suis maître E en RASED et suis amenée régulièrement à aller observer ou aider des élèves dans leur classe… Mais là j’avoue avoir été très étonnée !

Stéphanie Fontdecaba la maîtresse m’avait dit : “Tu verras c’est un joyeux bazar…”, avec 27 élèves allant du CE1 au CM2 je l’ai volontiers crue, et bien… pas du tout. Les élèves circulent certes, mais malgré l’encombrement de la salle cela se passe sans dommage ; ils parlent un peu certes, mais plutôt moins bruyamment que ce dont j’ai l’habitude et davantage au sujet du travail en cours ; il ne font pas tous la même chose en même temps certes, mais cela ne génère pas de désordre et chacun semble au clair avec ce qu’il a à faire ; parfois il y en a qui ne font rien certes, mais ils ne gênent pas les autres, soufflent, et reprennent d’eux-mêmes leur activité au bout d’un moment…

Deuxième surprise, je me suis ennuyée… si, si, je vous assure ! D’habitude, quand je suis dans une classe j’ai toujours quelque chose à faire : aider un élève, redire la consigne, corriger un travail, ramener un élève au calme, chercher un stylo égaré… Là, pratiquement rien à faire, ces élèves gèrent étonnement bien leur travail et leurs affaires et n’ont que rarement recours à la maîtresse. Ceci dit, heureusement, car comme me l’a dit Stéphanie : “Si je ne faisais pas faire mon boulot par les élèves je n’arrêterais pas !”. Donc ils ont l’habitude de s’entraider, savent utiliser les fichiers, s’auto-corriger, s’occuper quand ils ont fini, s’interroger les uns les autres sur leurs mots à apprendre ou leur calcul mental… (Bon en vrai je ne me suis pas vraiment ennuyée hein, il y avait beaucoup de choses très intéressantes à observer !)

À ce propos, autre bizarrerie, je pensais que dans ce type de classe c’étaient “les grands” qui coachaient “les petits” et bien pas du tout ! J’ai vu des CE1 dicter à des CM2 les mots qu’ils avaient à apprendre ou leurs tables de multiplication, en fait aucun problème du moment qu’ils sont à l’aise pour lire les cahiers correspondants, il suffisait d’y penser !

Enfin ma haute compétence professionnelle qui fait que je repère très facilement dans une classe les élèves en difficulté en a pris un coup ! En effet, il m’a bien fallu les deux jours et un peu d’aide de Stéphanie pour les débusquer… Avec cette organisation les élèves qui ont des difficultés ne se voient pas ; comme chacun travaille à son rythme et que les activités de groupe permettent à chacun, quels que soient son âge et son niveau, de trouver sa place et bien leurs difficultés sont invisibles pour le visiteur, et aussi pour les autres élèves de la classe, ce qui est fort intéressant pour préserver une bonne estime de soi.

Alors, un miracle cette classe ? Non bien sûr… J’ai vu une séance d’atelier philo partir en vrille alors que celle de la semaine précédente avait été très réussie ; j’ai vu à quel prix au niveau organisation, préparation et réflexion (avec un groupe ICEM) tout semblait “marcher tout seul” ; Stéphanie m’a aussi expliqué que ce type de fonctionnement très démocratique ne convenait pas à tous les parents ; mais j’ai surtout vu des élèves sereins, avec des compétences bien installées. Que demander de plus ?

 

12 réflexions au sujet de « LA CLASSE OÙ JE ME SUIS ENNUYÉE… »

  1. Et elle échange cette personne??
    Cela me plairait beaucoup de voir comment elle s’organise, règle les soucis de tons qui montent si facilement, quand les élèves travaillent ensemble et s’entraident..Plein de questions pratiques que j’ai à proposer!!
    Merci pour cet article.
    Catherine

  2. Bonjour
    On essaie de monter une classe EIP CE1-CM2 l’année prochaine.
    Si tu peux me passer les coordonnées de l’enseignante, c’est volontiers.
    Merci
    Delphine
    @Sainte_trinite

  3. Et oui ! Elle échange cette personne ! Elle existe même en vrai !
    Je suis prête à discuter avec ceux et celles qui veulent en savoir plus. Cependant je tiens à préciser que ma classe n’est qu’un exemple, pas un livre de recettes : ce qui y fonctionne n’est pas forcément transposable ailleurs. Depuis la visite de Stéphanie, beaucoup de choses ont évolué, ont disparu ou ont été remplacées, car tous les ans, l’arrivée et le départ d’un certain nombre d’élèves, chamboule toute l’organisation.
    Stéphanie peut vous transmettre mes coordonnées afin que je réponde à vos interrogations.
    Encore merci Stéphanie pour cet article qui fait chaud au cœur.
    Stéphanie Fontdecaba

    1. Bonjour,
      J’aimerai beaucoup échanger avec vous, si cela tient toujours. Comment puis-je avoir vos coordonnées?

      Merci d’avance et passez d’excellentes vacances.

  4. J’ai eu exactement le même sentiment lorsque j’ai commencé mes cours de français avec deux classes de Compagnons du Tour de France, il y a quelques semaines. Cette organisation, en tous cas la fédé de Paris, a érigé le principe d’autogestion comme règle de fonctionnement en classe mais aussi hors classe. Mes élèves ont de 17 à 27 ans avec une grande hétérogénéité des acquis. Je vois de semaines en semaines leurs progrès et jamais une classe ne m’a autant enthousiasmé en termes d’interaction, non pas prof-élèves mais plutôt nous tous mis sur le même plan…

    Merci pour l’article!

  5. je suis fier que vous citiez mes livres sur votre blog et interessé par celui ci

    si vous voulez je peux vous envoyer aussi en specimen »se former dans l’humour car il passe a la 3e edition

    (je vais aussi réediter « education nouvelle,quelle histoire)

    le 3-5 je presente « penser avec jankelevitch » a la fondation péri,11
    rue E.Marcel a pantin (metro hoche)
    au cas ou…

    a vous lire j’espere

  6. Je remonte les com’ de cet article…comment faire avec les parents pour lesquels ce type d’organisation ne passe pas? Faut il tout laisser tomber?

    1. Nous sommes des professionnels souverains dans nos choix professionnels.
      La première chose est, à mon avis, d’être solides sur nos choix : être capables d’expliquer, calmement, en étayant nos pratiques avec des ouvrages théoriques et des auteurs. Ainsi, les sceptiques peuvent voir que nos choix sont éclairés et ne sont pas des lubies d’apprentis sorciers. Cela suppose un retour réflexif sur nos pratiques.
      La deuxième chose est de prendre du temps pour expliquer encore et encore, en écoutant et en accueillant les peurs et réticences de la part d’adultes qui méconnaissent des pratiques qu’ils n’ont pas vécues eux-mêmes.
      La troisième est d’accepter que nos pratiques ne plaisent pas à tous. (Attention, cela ne veut pas dire d’accepter les menaces et les insultes de la part de ces adultes.)

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